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Quand Lulu raconte...
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8 avril 2008

Les Vieux

Elle avait rendez-vous dans l'après-midi. A peine avait-elle passé le portail qui mène à l'entrée de la maison de retraite, que ça sentait déjà la soupe à plein nez. En poussant la porte, l'odeur l'assaille. Ils doivent préparer de la soupe tout au long de la journée.
Comme elle est en avance, on lui demande de patienter. Alors elle s'installe dans un petit canapé, dans l'entrée, à côté de la baie vitrée. Quelques magazines de l'année dernière traînent sur une table basse. En face, il y a une grande cage blanche où quatre perruches se font la conversation. Elle a toujours un livre au fond de son sac, et même si elle l'a ouvert, elle n'en a lu que quelques pages. Elle préfère regarder autour d'elle, il y a tant de choses à voir.
Tout autour d'elle, une dizaine de résidents, moyenne d'âge, quatre-vingt-cinq ans. Ils sont assis dans des fauteuils trop durs, couleur vieux rose fatigué. Certains regardent la télé, un débat sur le test de paternité. D'autres dorment, la tête dans la paume de leur main, au bout d'un coude qui joue l'équilibriste sur le bras du fauteuil. Une dame lit. C'est la seule qui a un livre entre les mains. Pour le reste, ça s'engueule, ça se réchauffe le dos collé au radiateur, ça se raconte les matins, les enfants, le bon vieux temps, les potins.

A chacun d'entre eux, Lulu a offert un sourire. Et tous lui en ont offert un en retour. Elle pense que c'est la moindre des choses de donner à ces vieilles personnes un peu de lumière, un peu de soleil du fond du coeur.
La dame qui lisait était stationnée juste à côté du canapé. Elle a fini par lui parler. Fort. Devenue sourde au fil des ans. Lulu a forcé sur les cordes vocales, et c'était plaisant. La dame a fait remarquer la jolie robe de sa voisine, le temps gris, l'odeur de soupe dans la cuisine. Elle a ajouté qu'elle se sentait un peu en prison ici. Quand on est sourd, on est isolés. Et seule, elle ne peut plus se déplacer. Alors afin de ne pas gêner les autres à toujours monter le volume, elle lit. Elle assume. Tout de même pleine d'amertume.
Elle a pris la main de Lulu dans ses deux mains à elle, et elle l'a remerciée, pour ces quelques phrases échangées. Droit dans les yeux, du fauteuil au canapé. Et puis l'heure du rendez-vous est arrivée, et pour eux tous, celle du goûter.

Ça l'a rendue triste tous ces visages. Parce qu'elle se sentait bien impuissante dans cet endroit où même le personnel ne peut pas prendre tout le monde à coeur. Un sourire à l'un, une parole à l'autre, on tapote une épaule, on déplace un fauteuil, on change de chaîne, on prend quelques nouvelles. Mais chacun aurait tant besoin d'un tout petit peu plus de temps, d'attention. Juste respirer un peu l'air de la saison. Se sentir vivant encore un peu, un tout petit peu avant qu'aux yeux des autres, ils soient vraiment devenus trop vieux.

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Commentaires
C
Salut lulu on a découvert ton blog il y a deux jours et ca y est on est accros...... Tu cherches un boulot mais a notre avis tu l'as deja, c'est trop beau ta facon d"ecrire. Que d'emotions, de sentiments de BEAUTE...BRAVO.... Dis tu as rncontré des editeurs deja????
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V
Je suis remontée au début tellement j'ai aimé vous lire...<br /> Merci pour le moment de détente. <br /> Et puis, j'ai l'impression que nosu sommes presque voisines ;).
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