L'essentiel
Ça fait longtemps qu'elle le cherche, enfin tout au moins qu'elle cherche à savoir s'il en existe un. Elle croit en tous cas qu'il doit y en avoir un pour chacun. Une raison d'être, un art de vivre, une quête inaccessible, elle ne sait vraiment pas. Mais elle continue de courir après ça. En espérant trouver sans s'être trop essoufflée à chercher. Sans suffoquer devant l'idée qu'elle s'en fait. Les poumons bien ouverts à la nicotine et à ce grand mystère. Encore faudrait-il savoir en quoi l'essentiel consiste au fond. Et si chacun en faisait sa propre définition ?
Elle croit pourtant avoir trouvé quelque chose qui pourrait y ressembler. Une sorte de voyage initiatique et sage, partir vers soi à l'abordage, creuser encore plus loin à l'intérieur de l'âme, vivre sa solitude, jouer sur ses gammes, laisser couler les larmes, assumer ses douleurs, écouter les paysages, et faire hurler son coeur.
Quelques jours ailleurs. Quelques jours sans compter les heures. Se décaler du quotidien des journées, s'en éloigner pour se recentrer. Le désert africain ou le Larzac en juin, la destination a si peu d'importance... Juste un endroit où écouter le silence.
Peut être que pour certains, l'essentiel sera de se lever demain matin, de signer ce gros contrat, cravate bleue ou chocolat ? Pour d'autres, il dépendra des comportements des amis et des amants, de la famille aussi de temps en temps. Pour tous, en tous les cas, il est inhérent à soi. Un choix. Alors ça ne se discute pas.
Puisse chacun de vous arriver à toucher du doigt l'essentiel, à le sentir déployer ses ailes, l'approcher de si près, à se dire qu'alors c'est peut-être vrai. Oublier les clefs, le prix de l'essence et les découverts non autorisés. Les restaurants ou le ciné. Pour un temps, pour se retrouver, pour mieux recommencer, ou mieux continuer.
Une pause qu'elle estime nécessaire, en tous cas pour elle. Sans vraiment de date arrêtée, elle a encore trop besoin de son calendrier, mais si ça ne tenait qu'à elle, seulement à elle, ce soir, elle partirait.
Peut-être même que sa patience ne supporterait pas d'attendre encore jusque là. Mais on n'a pas toujours le choix. Ou plutôt si, on l'a, mais ce petit fil qui nous accroche au matériel ne casse pas. Il suffirait peut-être, qui sait, d'un coup un peu plus sec, pour le détacher...
Mais pour l'heure, l'essentiel est niché ailleurs. L'essentielle s'est glissée sous la couette, parmi coccinelles et pâquerettes, et devrait rêver jusqu'au prochain déjeuner... A chacun ses priorités.
Elle avait seulement besoin d'en parler, poser les mots sur le papier, les maux à plat, l'encre noire au bout des doigts.